lundi 13 août 2012

La Princesse aux paons (1ère partie)


Forth from her land to mine she goes,
The island maid, the island rose,
Light of heart and bright of face:
The daughter of a double race.
(R.L. Stevenson)



Elle était belle, très belle. Longue, brune, fine comme un jonc et galbée comme un cygne. Le visage ovale, de grands yeux tendres et vifs, les sourcils droits, le nez un peu pointu, les lèvres pleines et espiègles, de longs cheveux très noirs, épais et ondulés, le maintien digne et le port haut.

Princesse héritière d'un royaume lointain, un archipel d'îles enchantées nées du feu de la terre, couchées sur l'océan que l'on dit Pacifique.

Elle naquit en automne, mais la Polynésie ne connait pas l'automne, fille d'une Princesse royale et d'un riche négociant amoureux des jardins, mi-hawaïenne, mi-écossaise. Enfant sacrée, enfant choyée, sa vie commence comme un conte de fée, et comme les contes, elle est triste. Elle avait onze ans lorsque mourut sa mère. « I have missed her every day from the first dreadful day she died. » (1) Par droit de naissance, elle était destinée à hériter un jour du trône d'Hawaï. Elle reçut une éducation raffinée. Intelligente, vive et appliquée, elle apprenait vite. Sportive, elle montait à cheval, surfait sur les rouleaux, pagayait et nageait dans les vagues du Pacifique. Plus tard elle se mit au tennis et au criquet. Elle chantait, jouait de la guitare et du ukulélé, elle peignait des fleurs et des paysages. A treize ans elle partit étudier une année en Angleterre. L'écrivain Robert Louis Stevenson, ami de la famille, pour rendre son départ plus facile lui décrivit les beautés du pays et lui parla des légendes celtiques. Elle y resta quatre ans. Elle avait dix-sept ans à peine quand sa vie bascula.



Près d'un siècle plus tôt, le Roi Kamehameha, son aïeul, avait unifié les chefferies des îles en un seul royaume, sur le modèle des monarchies parlementaires européennes. Déjà guidé et armé en sous-main par les occidentaux.

Pour échapper aux raids français, ses successeurs demandèrent la protection des États-Unis et de l'Angleterre. C'était prier les loups de les protéger du renard. En 1887, (la Princesse allait sur ses douze ans) une « Constitution baïonnette », fausse constitution imposée par la menace des armes, vrai coup de force qui favorisait les intérêts commerciaux des planteurs et négociants étrangers américains et européens au détriment des droits de la population locale, fut imposée au pays et à son roi sous l'impulsion de Sanford B. Dole, propriétaire de la Dole Food Company. (2)


Lorsqu'en 1891 la reine Lili'uokalani, sa tante, arriva au pouvoir, de nombreuses pétitions lui furent adressées, en faveur d'une révision de cette constitution inique. A peine s'y fut-elle attelée qu'elle fut renversée et forcée d'abdiquer, en 1893, par une coalition de planteurs occidentaux soutenus par une compagnie de fusiliers marins américains. Un gouvernement provisoire rebaptisa le pays « République d'Hawaï » et mit en place un protectorat américain, qui déboucha sur une annexion pure et simple en 1898. Annexion illégitime, ni voulue ni demandée par la population qui ne fut pas consultée. Il n'y eut ni référendum, ni traité, rien qu'un acte unilatéral de la part de commerçants étrangers et à leur bénéfice exclusif.(3) Ce n'est pas avant un siècle, avant 1993 seulement, que le Congrès des États-Unis formula des excuses. Trop tard pour Hawaï. Trop tard pour la Princesse.

(à suivre)

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(1) « Elle m'a manqué chaque jour, depuis ce premier jour terrifiant de sa mort. »
(2) La Dole Company existe toujours. Pensez-y la prochaine fois que vous mangerez une banane ou que vous ouvrirez une boîte d'ananas.
(3) Déclaration de Lorrin Thurston à la presse de Chicago, 02,02,1893 : « Le grand problème était que la reine ne souhaitait pas démissionner de façon constitutionnelle, mais se rangeait du côté de cet élément qui réclamait depuis des années « Hawaï aux Hawaïens ». Les américains et européens, qui possédaient de loin « les plus grands intérêts » là-bas, n'étaient pas disposés à laisser les natifs dépenser l'argent qu'ils avaient tant travaillé à gagner. » Tout est dit.

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