Il y a bien longtemps, dans un pays
fort fort lointain, un homme, un chef d'État, fit un jour un discours. Le texte est long, si vous êtes pressé, la vidéo (17 min.) est
au bas.
Cela se passait il y a vingt-cinq ans,
une génération. Beaucoup ont oublié, d'autres n'ont jamais su. A
leur intention, voici qui était cet homme.
Il est né en 1949 dans le pays des
Mossi qui comptait plusieurs royaumes appelés Boussouma, Dagomba,
Gourma, Mamprousi, Ouagadougou et Yatenga. Les Français qui s'y
étaient installés (1), trouvant cela bien compliqué, l'avaient
renommé Haute-Volta. Cet homme donc, issu de la petite classe
moyenne, a fait des études, est entré à l'armée, puis en
politique. Arrivé au pouvoir en 1983 suite à un coup d'État, à
nouveau il change le nom de cette terre en Burkina Faso, Pays des
Hommes intègres.
Son programme était clair, il l'a
présenté à l'ONU en 1984, et il l'a mis en œuvre.
:
- Abolir les privilèges des chefs tribaux qui se comportaient comme des seigneurs féodaux, et redistribuer la propriété des terres aux paysans. (2)
- Lutter pour l'émancipation féminine en promouvant l'éducation des filles, la contraception, l'accès des femmes à des postes de responsabilité, en interdisant l'excision, les mariages forcés et la polygamie.
- Réduire drastiquement le train de vie du Gouvernement, entre autre en remplaçant les Mercédès de fonction par des Renault 5, en diminuant le salaire des ministres et des hauts fonctionnaires, à commencer par le sien.
- Développer l'économie du pays,
- Par l'autosuffisance alimentaire, obtenue suite à la réforme agraire (divisions des terres féodales en lopins distribués aux paysans). (3) Condition même de l'indépendance du pays et de la santé de ses habitants.
- Par la plantation de milliers d'arbres pour lutter contre la désertification.
- Par la constructions de routes et de voies de chemin de fer.
- Par le refus d'endetter davantage le pays par des emprunts étrangers, repoussant particulièrement l'aide(4) du FMI.
- Par la demande de réduction de la «dette odieuse» contractée par ses prédécesseurs.
- Par le développement de l'artisanat et des petites industries locales, en refusant d'importer toute marchandise ou tout bien qui pouvait être produit localement.
Bien sûr il se fit des ennemis. Les
chef tribaux dépouillés de leurs droits, et les intérêts
financiers de la France et de sa post-colonie la Côte d'ivoire.
Ceux-là, très mécontents, l'accusèrent de tyrannie, de corruption
et d'imposture. On peut les comprendre, ils perdaient du pouvoir, de
l'influence et de l'argent, tandis que la population gagnait de la
nourriture, de l'éducation, de la santé et des droits qu'elle ne
méritait pas.
On lui a reproché de surtaxer la
bourgeoisie urbaine pour financer ses projets de développements
ruraux.(5) On lui a reproché d'être marxiste-léniniste. Très
franchement, au vu de son programme et de ses réalisations, il
aurait pu être ce qu'il veut, je m'en soucie comme d'une guigne.
Son discours sur la dette fut prononcée
à Addis-Abeba le 29 juillet 1987. Le 15 octobre 1987, moins de trois
mois plus tard, il meurt assassiné lors d'un coup d'État fomenté
par l'homme qui est toujours aujourd'hui au pouvoir dans le pays,
Président depuis 25 ans, et qui s'est empressé de détruire toutes les réformes de son prédécesseur, et de rejoindre le FMI.
Aujourd'hui au Burkina Faso, 80% de la
population vit avec moins de 2$ par jour. Le président actuel et sa
famille
vont très bien, merci.
Mais tout ce qui précède est
relativement anecdotique, perdu dans le bruit et la fureur de
l'Histoire humaine.
Non, ce qui est véritablement stupéfiant,
c'est l'actualité de ses deux discours de 1984 à l'ONU et de 1987
contre la dette. L'histoire se répète? ou bien bégaie-t-elle? Ni l'un
ni l'autre. En l'occurrence, elle fait du sur-place.
On trouve ici et là des gens pour
demander qu'on leur cite un Einstein africain. On pourrait leur
expliquer pourquoi l'Afrique peine à développer la recherche
scientifique chez elle pour cause de sous-financement chronique. Mais
ils ne comprendraient pas. On pourrait leur citer Edward AlexanderBouchet.
Ou les envoyer sur ce blog, ou leur montrer cette vidéo. Mais rien ne convainc certaines gens.
Je préfère leur demander en retour de
me citer un Thomas Sankara européen aujourd'hui. Bonne recherche.
(1) Il y a une énorme différence
entre invasion et conquête. Ne pas confondre, car les deux n'ont
rien à voir. L'invasion, c'est quand l'ennemi entre chez vous.
C'est mal, il apporte guerre, misère, oppression et tyrannie. La
conquête, c'est quand vous entrez chez l'ennemi. C'est bien, vous
apportez civilisation, religion, démocratie et progrès. Mais comme
je ne veux d'ennuis ni avec les Français, ni avec les Burkinabés,
je choisis une périphrase.
(2) C'est très mal. Chacun sait que la propriété privée est un droit absolu et sacré . Comme par exemple ici,
et ici
ou là
ou encore ici.
(3) Suite à cette mesure la
production de céréales est passée de 1700Kg/Ha à 3800Kg/Ha en
trois ans. Mais pour un économiste et un géant de
l'agro-alimentaire ce n'est pas un critère pertinent. Je n'oserais
les contredire, n'étant pas économiste.
(4) Ce mot d'« aide » qui
prend tout son sel lorsqu'on pense à la Grèce, est particulièrement
délicat et prouve l'humour si subtil et si heureux du FMI.
(5) La différence entre une taxe
légitime et nécessaire et une taxation abusive et disproportionnée
est très simple. Lorsqu'un chef d'État africain connoté à gauche
taxe une partie relativement aisée de la population pour aider au
développement d'une paysannerie extrêmement pauvre, c'est de la tyrannie.
Lorsque les Hautes Autorités européennes taxent, l'une après
l'autre, les populations modestes de chaque pays d'Europe pour
réduire le déficit creusé par l'aide accordée aux banques et les
abattements d'impôts accordés aux plus riches, et reversent
ensuite le produit de ces taxes aux banquiers et aux grands
financiers, c'est une mesure responsable, courageuse et efficace.